Cette chevelure était éclatante et profonde, douce comme une fourrure, plus longue qu’une aile, souple, innombrable, animée, pleine de chaleur. Elle couvrait la moitié du dos, s’étendait sous le ventre nu, brillait encore auprès des genoux, en boucle épaisse et arrondie. Ce n’étaient pas les cheveux lisses des Syriaques de la cour, ni les cheveux teints des Asiatiques, ni les cheveux bruns et noirs des filles d’Egypte. C’étaient ceux d’une race aryenne, des Galiléennes d’au delà des sables. Quand nous aurons quitté cet affreux soleil africain, tu me conduiras vers ta source. Là, tu chercheras une roche polie et tu graveras dans la pierre ce que tu avais écrit sur la cire : les trois mots qui sont notre joie.
Bientôt il se refusa même à leur donner ce contentement, et cessa de jouer, par nonchalance. Toute la forêt fut triste, mais les morceaux de viande et les fruits savoureux ne manquèrent pas pour cela devant le seuil du musicien. On continua de le nourrir et on l’aima davantage. Le coeur des bêtes est ainsi fait. Or, un jour qu’appuyé dans sa porte ouverte il regardait le soleil descendre derrière les arbres immobiles, une lionne vint à passer près de là. Il fit un mouvement pour rentrer, comme s’il craignait des sollicitations fâcheuses. La lionne ne s’inquiéta pas de lui, et passa simplement. Alors il lui demanda, étonné : « Pourquoi ne me pries−tu pas de jouer ? » Elle répondit qu’elle ne s’en souciait pas. Il lui dit : « Tu ne me connais point ? » Elle répondit : « Tu es Orphée. » Il reprit : « Et tu ne veux pas m’entendre », elle répéta : « Je ne veux pas. » − « Oh ! S’écria−t−il, oh ! Que je suis à plaindre. C’est justement pour toi que j’aurais voulu jouer. Tu es beaucoup plus belle que les autres et tu dois comprendre tellement mieux ! Pour que tu m’écoutes une heure seulement, je te donnerai tout ce que tu rêveras. » Elle répondit : « Je demande que tu voles les viandes fraîches qui appartiennent aux hommes de la plaine. Je demande que tu assassines le premier que tu rencontreras. Je demande que tu prennes les victimes qu’ils ont offertes à tes dieux, et que tu mettes tout à mes pieds. » Il la remercia de ne pas demander plus et fit ce qu’elle exigeait. Une heure durant il joua devant elle, mais après il brisa sa lyre et vécut comme s’il était mort. La reine soupira : « Je ne comprends jamais les allégories. Explique−moi, bien−aimé. Qu’est−ce que cela veut dire ? »
Introduction, textes d’enchainement et final : textes de Pierre Louÿs